Les Mains de Chabat. « Les Enfants d’Israël garderont le Chabat » (Chémot 31-16). Comment garde-t-on le Chabat ? La Tora ne nous dit pas ici de pratiquer le Chabat, mais de le garder ! Garder renferme l’idée de ne pas en arriver à le transgresser ! Comment fait-on pour ne pas en arriver à transgresser Chabat ? Le Rav de Brisk ztsal disait (Harav Mibrisk volume 4 page 465) : on doit surveiller ses mains ! Effectivement celle-ci agissent bien souvent de façon instinctive ce qui conduit à faire des choses interdites Chabat ! la maîtrise de son corps s’inscrit dans l’univers du Chabat ! c’est incroyable !…
Travail Achevé
Lorsque la Tora parle la première fois du Chabat elle dit « vayéh’oulou hachamaïm véaarates » (Béréchit II-1), le ciel et la terre furent achevé. C’est-à-dire qu’après que D’IEU créa tous les éléments de la création celle-ci trouva une certaine assise. Il ne suffit pas de créer, faut-il encore que chaque élément soit à sa place et fonctionne correctement, la dernière étape de la création est donc la finition du travail.
Qu’est-ce que cela nous apprend ?
Le Igra Dékala fait un constat intéressant : finir un travail nous semble, dans notre esprit humain, que cela ne s’appelle pas un travail ! La Tora vient ici nous enseigner que finir un travail s’appelle aussi un travail ! D’ailleurs dans les trente-neuf interdits de Chabat on trouve ‘’maké bépatich’’ – littéralement : donner le dernier coup de marteau sur l’ustensile qu’on est en train de confectionner.
Dans la Halah’a on trouve de nombreux actes interdits s’inscrivant dans cette ‘’mélah’a’’, voici quelques exemples : interdit d’arranger un objet qui s’est cassé, redresser un métal tordu (par exemple une fourchette, ou le fermoir d’une montre), interdiction de déboucher un évier lorsque l’eau ne passe plus, remonter une montre mécanique…
Chaque étape de l’effort fourni constitue un interdit. On se dit parfois que le ‘’dernier coup’’ est somme toutes un acte insignifiant, en tout cas il n’est pas banal puisque cette finition de l’action va donner un sens à l’objet, ceci est inscrit dans ce mot ‘’vayéh’oulou’’ qui indique que D’IEU termina le travail, terminer une oeuvre c’est lui donner un état fonctionnel.
L’être inachevé ! Frustration ou Liberté Par Rav Imanouël Mergui
Les Sages ont découvert et donc institué que nous devons réciter le Kidouch tous les Chabat sur du vin.
Pourquoi proclamer le Chabat sur du vin ? Rabi Yaakov de Izbitsa ztsal dans sa Hagada Sefer Hazemanim développe une idée superbe : ces trois éléments, Israël Chabat et le vin, ont un point commun ! Ce sont des éléments de la création qui sont arrivés en dernière position, on aurait pu voir en eux une activité secondaire alors qu’en vérité ils sont la partie élue de la création. A propos de l’humain nous voyons bien qu’il fut créé en dernier, il vient après toutes les autres créatures. Et, à l’intérieur de l’espèce humaine, le peuple d’Israël est devenu comme tel après tous les peuples. Il en est de même pour le Chabat, c’est le dernier jour de la semaine ! Pareillement pour le vin, il était préalablement du raisin et ce n’est qu’après être pressé qu’il devient du vin. On aurait pu s’imaginer que les six jours de la semaine sont supérieurs au jour de Chabat ! Pourquoi ? Parce que durant ces six jours l’homme agit et crée, alors que durant le Chabat l’homme chôme et n’agit pas. Mais il faut présenter la chose différemment pour comprendre que Chabat est supérieur, il faut dire que durant le Chabat l’homme chôme parce que Chabat n’a pas besoin de l’action de l’homme (si le travail est interdit le jour de Chabat ce n’est pas uniquement par rapport à l’homme, toi homme ne peut effectuer un travail le jour de Chabat, mais il faut dire que si le travail t’est interdit c’est parce que durant le jour de Chabat le travail n’est pas nécessaire, Chabat n’a pas besoin de ton travail, le travail est lié au temps…). Nous voyons que ce qui est créé en premier est annexé à ce qui est créé plus tard ! (au-delà de cette belle idée constatée par le Rav ztsal qui voit l’essentiel dans ce qui est tardif, il me semble que se cache ici un principe fondamental dont l’homme fait souvent fi dans sa vie. Que renferme cette idée d’être l’être tardif ? Cela veut dire que dans la vie il faut prendre du temps pour faire les choses, ce qu’on fait vite c’est qu’on veut s’en débarrasser, il faut bâtir les valeurs, les choses ne viennent pas comme ça, il faut construire pour y arriver, ce qui se fait sans en prendre le temps n’est pas de grande valeur…
On n’existe pas à travers une oeuvre achevée, mais à travers une oeuvre qui se créée petit à petit ! C’est l’élément représenté – le machal – par le vin, un bon vin au-delà du fait qu’il est le produit du raisin, lui-même a besoin de temps pour être de bonne qualité. Chabat se prépare toute la semaine ! Je crois même que Chabat nous indique que le monde n’est pas fini, d’ailleurs Chabat on s’arrête de faire nos activités, on existe et fait la fête, de Chabat, alors que tout n’est pas fini, tout est en devenir. C’est également ce qui se passe pour l’histoire d’Israël, nous sommes un peuple inachevé parce qu’en devenir permanent ! L’inachevé ici fait référence à une oeuvre qui a encore besoin d’être travaillé, qui a besoin de temps pour faire éclore son meilleur. Ce n’est pas quelque chose d’inachevé parce qu’abandonné, mais parce qu’il faut encore investir. L’inachevé dans le sens développé ici témoigne de la qualité suprême de l’élément. Ce qui est achevé prouve qu’il n’est pas nécessaire de s’en investir davantage, il fini dans un musée ou à la poubelle. Le non fini est la plus belle chose que D’IEU a créé, certes il faut sortir de la dimension purement matérielle pour comprendre et saisir cette idée. Toutefois même dans le matériel on rencontre cette idée : une chose finie perd de sa saveur. Oui nous sommes un peuple inachevé, et Chabat nous le rappelle à travers le monde inachevé dans lequel nous nous trouvons. L’inachevé témoigne de l’infini, du il y a encore quelque chose à améliorer, à apporter, à bâtir, à découvrir, c’est l’aventure du meilleur illimité !
Rattachons cette idée à ce phénomène fantastique que nous vivons cette année : Pessah’ tombe samedi soir ! La liberté c’est justement ce concept de l’inachevé infini ! La liberté ne se définit pas par un monde où l’on consomme nos désirs qui s’évaporent aussitôt assouvis, mais c’est vivre une vie où on peut encore découvrir, et surtout se découvrir. C’est la plus belle aventure. L’inachèvement de l’histoire ne doit pas être vécue telle une frustration ou un échec, bien au contraire c’est là la définition même de la liberté. Croire qu’on peut tout finir c’est de l’orgueil, comprendre qu’il nous revient d’investir sans en voir le bout est synonyme de liberté…