« Je consulte le Rav ! » par Rav Moché Mergui, Roch Hayéchiva
La Paracha KEDOCHIM nous ordonne d’observer plusieurs Mitsvoth « Ben Adam L’éh’avekho », c’est-à-dire dans le cadre de la relation d’un être humain à l’égard de son prochain. Parmi ces Mitsvoth, celles qui, précisément, demandent de développer les qualités humaines sont appelées les « Midoth Tovoth. »
Cette Paracha nous enseigne à ce sujet :
1/ « Tu ne haïras pas ton frère en ton coeur » ;
2/ « Tu ne réprimanderas ton prochain et ne porteras pas de faute à cause de lui » ;
3/ « Tu ne te vengeras pas » ;
4/ « Tu ne garderas pas rancune aux enfants de ton peuple » ;
5/ « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, JE SUIS HACHEM ».
L’observance scrupuleuse des Mitsvoth « Ben Adam Léh’avékho » élève l’homme au niveau de la sainteté [la Kédoucha]. » Aimer son prochain comme soi-même nécessite une volonté sacrée !
Cependant, la Mitsvah de réprimander son prochain semble difficile à mettre en application. Car cela peut entraîner une atteinte à sa vie privée, et à ses choix. Et de quel droit pourrais-je le réprimander ? A partir de quelle légitimité ?
En vérité ce bouquet de Mitsvoth forme un tout indissociable. Au fond, si tu aimes réellement ton prochain comme toi-même et que tu désires uniquement son Bien, il n’y a pas de gêne à lui signaler, avec affection et respect, son écart, voire sa faute. Car attention : ne pas réagir extérieurement, tout en désapprouvant intérieurement, équivaut à cautionner l’interdit.
Le Saba de Slavodka enseignait à ce sujet : s’abstenir de faire une réprimande, c’est se laisser influencer par le mal.
A ce propos, la Torah dit que si des témoins ont assisté à un crime, et témoignent devant un Beth Din que telle personne a commis une faute passible de peine de mort, ce sont ces témoins qui seront les premiers à appliquer l’exécution du condamné, pour extirper l’influence néfaste d’avoir vu la personne bafouer la Torah !
Pour être sûr d’agir conformément à la Torah, il est recommandé de consulter un Rav compétent qui donnera de bons conseils sur la ligne à suivre, afin de réaliser parfaitement la Mitsvah « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Pirké Avoth (1-16) nous enseignent : « Donne-toi un maître, écarte-toi du doute ». Il faut en effet te donner un maître, te fier à lui dans la ligne droite à suivre, et tu seras content d’avoir la conscience tranquille et en paix.
L’aventure du ‘’moi’’ – par Rav Imanouël Mergui
Il n’y a rien de plus proche à l’homme que lui-même !
C’est une réalité voire une évidence.
On a tendance cependant à l’oublier, on peut aller s’occuper du monde entier mais on oublie parfois de s’occuper de soi même !
Selon le Talmud cette affirmation vient nous dire que l’homme ne peut pas porter de témoignage le concernant. C’est une règle d’une extrême complexité en matière de droit talmudique… (voir notamment traité Sanhédrin 9A). Cela veut dire que l’homme manque d’objectivité par rapport à lui-même ! On a besoin de solliciter le regard de l’autre sur nous même pour s’assurer de la bonne marche à suivre. Il y a des personnes qui n’aiment pas demander conseil, ils préfèrent faire leur propre expérience, ou ils sont sûrs d’avoir toujours la meilleure idée et sont certains de ne jamais se tromper. Cela va jusqu’à dire que lorsqu’ils se trompent ils trouveront toujours une raison extérieure et une faute chez l’autre mais jamais chez eux. On peut rattacher cela à de l’orgueil, mais il me semble que la raison profonde est ce manque de regard objectif sur soi à tel point qu’on se perçoit toujours comme un être parfait et sans défaut. Ce n’est pas là que de l’orgueil c’est plutôt et surtout du mensonge. Ce mensonge de l’homme envers lui-même. Mensonge inconscient. Il nous insupporte d’entendre une critique de quiconque, de nos parents, de nos conjoints, ou de tout autre soit-il. On refuse même la sentence divine, les épreuves qu’IL nous envoie, etc.
Ce refus provient de ce manque d’objectivité de l’homme vis-à-vis de lui-même. Il apparaît de la sougya que ce regard erroné qu’on a de soi ne soit pas une tare ! Effectivement c’est dans la nature même de l’homme que d’ignorer ses défauts. D’IEU nous a mis dans un monde où l’homme peut et doit évoluer si tant est qu’il comprenne et constate son imperfection. Son évolution passera donc inévitablement par le regard que l’autre porte sur ma vie. La tare est celle de refuser ce regard extérieur. On vie le regard extérieur comme étant une intrusion dans notre vie privée, cela nous dérange. On a du mal à entendre ce que l’autre a à dire sur nous. Il y a des choses que nous ne pouvons voir nous même sur nous même, c’est extraordinaire et incroyable, insupportable mais vital. L’homme préfère divorcer plutôt que d’écouter les critiques de son épouse. La femme préfère divorcer plutôt que de taire les critiques qu’elle a à dire à son mari. Le calcul est vrai également dans le sens inverse. Cela ne veut pas dire qu’on doive sans arrêt dire à l’autre ce qu’il a à corriger ; d’où la question : si l’autre ne peut évoluer seulement si je lui fais une remontrance, or cette remontrance il ne l’accueillera pas agréablement, il va la refouler, alors que faire ? Dire et mettre une mauvaise ambiance, ou taire en acceptant l’erreur de l’autre ?
A quoi est due cette méconnaissance de soi ?
L’homme est composé de deux parties : le corps et l’âme. Dans la Tora la composition double de l’être est très claire dans les versets de Béréchit où la description de l’être y figure. Chacune de ces parties est un monde en soi, et les réunir en est un troisième. L’homme se trouve et se défini au carrefour du corps et de l’âme. Rappelons que même ceux qui, malheureusement ne croient pas à la Tora, comprennent que l’être humain n’est pas que corps. Ils sentent et ressentent en eux-mêmes la doublure de leur personnalité ! On l’appellera l’esprit, les traits de caractère, la faculté d’opérer des choix, les différentes sensibilités de l’être, etc. – en simple tout ce qui ne se trouve pas chez l’animal. La Tora reconnaît toutes ces facultés et les surdimensionne encore plus. Quoi qu’il en soit l’être humain ne cesse de se surprendre. L’aventure du soi est immense, infini, mais à définir. C’est ce point que je voudrais étudier avec vous les semaines à venir dans les lignes de notre parution. Le point de départ c’est de reconnaître en toute vérité qu’on ne se connaît nullement ! Qu’on a tant à apprendre sur nous-mêmes ! Que notre vie ne se limite pas aux jours qui nous sont impartis. Que notre vie soit une aventure extraordinaire, celle-ci composée d’un corps dont la science ne cesse d’en découvrir les facultés, et d’une âme si profonde et si élevée. L’objectif est d’atteindre le moi, absolu ou relatif, qui fait de nous ce que nous sommes, ce que nous pouvons être, celui dont nous avons et détenons la possibilité de découvrir à l’infini pour que notre vie soit comblée avant tout du moi essentiel…
Le Tsadik
La Paracha de Ah’aré Moth ouvre par le rappel de la mort des deux fils de Aharon, à la suite du feu étranger qu’ils avaient apporté le jour de l’inauguration du Sanctuaire. Puis elle poursuit avec le déroulement du service de Kipour. Bien évidemment nous devons comprendre le lien qu’il y a entre ces deux sujets.
Le Gaon Rav Elazar Simh’a Wasserman ztsal explique : après le décès dramatique des deux fils de Aharon il ne peut que s’en suivre le commandement lié à Kipour, il nous faut recevoir la Tora à nouveau !
Personnellement je crois qu’on n’a pas idée de ce que représente la perte d’hommes d’une dimension suprême, appelés Tsadikim. On critique trop les Maîtres de la Tora et lorsqu’ils s’en vont on pleure. La perte du Tsadik implique un Kipour ! Alors apprenons à apprécier les Maîtres et Guides de la Tora, on ne pourra que bénéficier de leur sagesse et de leur piété.
Toute l’Assemblée !
La Paracha de Kédochim ouvre en ces termes (19-2) « parle à toute l’assemblée des enfants d’Israël et dis-leur : soyez saints car Je suis saint ». La notion de kédoucha (sainteté) est adressée à toute l’assemblée d’Israël ! Chaque fois que Moché adressait la parole Divine aux Enfants d’Israël il s’adressait à toute l’assemblée, pourquoi ici la Tora le précise, elle aurait pu dire comme à l’habituée « parle aux Enfants d’Israël » ? Le Béné Isah’ar dans Igra Dékala répond : lorsqu’il s’agit de sainteté chacun s’interroge de savoir s’il en est capable, certains même se disent dans l’impossibilité d’atteindre ce niveau élevé de l’être ! Alors D’IEU rappelle à toute l’assemblée que la sainteté n’est pas réservée qu’à une élite ! On peut rajouter que D’IEU attend que nous soyons tous une élite, nous sommes le peuple de l’élite et non seulement le peuple élu ! L’homme n’a pas le droit d’avoir un regard diminué sur son sort, il doit toujours se dire être capable de recevoir la sainteté divine ! D’ailleurs le Even Ezra écrit : toute la communauté d’Israël c’est pour inclure les convertis ! Cela veut dire que même l’homme des nations peut accéder à ce niveau suprême si t’en est qu’il se convertisse, et correctement, à la Tora. C’est dire que la conversion va bien au-delà d’une simple formalité pour être juif et se marier avec un conjoint juif, l’enjeu de la conversion est de rejoindre la sainteté extrême à laquelle D’IEU invite l’homme.
Remontrance
Au chapitre 19 verset 17 la Paracha de Ah’aré nous invite à réprimander son prochain lorsqu’il agit contre la Tora ! Comme tous les commandements de la Tora cette mitsva connaît ses règles et ses enjeux. Rappelons l’une de ces règles, le texte dit « oh’éah’ toh’iah’ ETE amitéh’a ». Nous savons que le mot ‘’’ète’’ employé dans la Tora vient nous donner une précision supplémentaire, effectivement le verset aurait pu dire ‘’’oh’éah’ toh’iah’ amitéh’a’’ ? Le H’idouché Harim dit que le mot ‘’ète’’ ici se traduit ‘’im’’ : avec, c’est-à-dire lorsque tu réprimandes l’autre, réprimande-le avec toi-même, n’oublie pas de te réprimander en même temps que tu le réprimandes. Cela veut dire que si l’enjeu de la réprimande est de permettre à l’autre de se corriger alors il ne faut pas oublier de se réprimander soi-même ! Avis aux experts de la critique qui se délectent de faire des remontrances à tout le monde mais oublient de corriger, et avant tout, leur propre comportement. On pourrait dire que l’enjeu de la réprimande qu’on se doit de faire à l’autre c’est pour se rappeler qu’on a soi-même quelque chose à corriger. Ce n’est pas moi qui suis le moyen de corriger l’autre, mais c’est l’autre qui est le moyen de ma correction. La finalité de ma remontrance exprimée envers l’autre est peut-être d’apprendre ce qui est incorrect chez soi même !
Le Respect
Au chapitre 18 verset 3 la Tora nous interdit de nous comporter tel le peuple de Kénaân ! Le peuple d’Israël se dirige vers cette terre, promise et si attendue, et là la tora nous annonce qu’on va y trouver des peuples qui ont des moeurs déplorables. Rachi dit que ce peuple se comportait de façon abominable pire que n’importe quelle autre nation ! Alors lorsqu’on arrive en terre d’<israël qui était autrefois la terre du peuple de Kénaân, on doit faire attention de ne pas suivre leur us !
Alors Rabi Yossi Haguélili s’interroge (voir Yalkout Chimôni) : comment se fait-il que ce peuple a pu rester quarante sept ans sur cette terre ? Rajoutons que la Tora édicte clairement dans notre Paracha 18-27 que la terre rejette les hommes aux comportements vils !
Le Maître répond : parce que lorsque notre Père Avraham cherchait une sépulture pour enterrer Sara notre Mère ils s’adressèrent à lui avec le plus grand des respects, ils lui disent « tu es prince de D’IEU parmi nous » (voir Béréchit 23-6).
La puissance de cet enseignement est incommensurable…
A l’école de Brisk on dit (voir Rav C.Y. Miller Chaï Latora page 47) : les calculs divins sont d’une extrême précision, effectivement malgré toute la dégradation de Kénaân, ils vont pouvoir rester un demi-siècle sur la terre sainte parce que leurs ancêtres ont fait preuve d’une des qualités des plus suprêmes : LE RESPECT !
Cette qualité ne couvre pas toutes les erreurs néanmoins elle connaît un certain succès…
A une autre échelle, durant cette période du Omer où des lois de deuil s’imposent à tout Israël suite au décès des vingt-quatre mille élèves du Grand Maître Rabi Akiva, le talmud au traité Yébamot 62B note que leur erreur découle du manque de respect qu’ils se témoignaient. Alors c’est le moment où nous devons redoubler de vigilance à ce devoir et cette vertu du respect :
– Des parents
– Du conjoint
– Des Maîtres de la Tora
– Des lieux saints
– De tout un chacun
– De nos enfants
– De nos élèves
– De tout être humain
– ETC.
– Et surtout d’apprendre à respecter Hakadoch barouh’ Hou, ce que nos maîtres appellent le KAVOD CHAMAÏM !…
Respecter l’autre, tout autre soit-il, implique l’effacement de soi, tout au moins partiel, faire exister l’autre même si cela me demande un effort surhumain et surnaturel. Mais de ce Midrach nous apprenons qu’il en vaut la peine, au moment où l’on respecte l’autre on obtient une telle clémence divine que nos fautes sont suspendues et on peut avoir accès à toutes les promesses divines « la terre d’où coule le lait et le miel » !!!
Ce Midrach est tellement puissant qu’il nous livre le secret du respect, en cela où nous voyons que le mérite du respect est intergénérationnel ! Si l’ancêtre de Kénaân a respecté Avraham Avinou alors les descendants, des décennies plus tard, auront le droit de vivre en Erets Israël. Lorsque la Paracha dit que la Terre d’Israël rejette les fauteurs, ceux qui savent respecter les autres ne subissent pas ce décret…
C’est immense, c’est inouï, c’est sublime…